Nous vivons dans un monde où la consommation de la viande est de plus en plus questionnée. La consommation totale est en baisse dans notre pays, et ce de manière plus ou moins continue depuis les années 1980. Si aucun chiffre valable en Belgique concernant le végétarisme n’existe, les différentes « sources » parlent de notre pays comme ayant un taux assez bas, entre 3 et 5 pourcents de végétariens. Ce qui ne signifie pas que ce le phénomène soit marginal, loin de là.
Au bénéfice d’une présence médiatique importante et de divers questionnements, les mouvements végétariens et végétaliens ont profondément remis en question la consommation carnée dans nos sociétés.
Végé, végan, vegae
Plus difficile à décliner que le latin, les mondes végé ont pourtant des différences qui dépassent largement la nuance. Si les mouvements sont bien expliquées ici, on peut les résumer en 3 catégories assez différentes : le végétarien ne mange pas de viande, avec quelques variantes (œufs, poisson, etc.), le végétalien ne mange rien d’animal (beurre, miel) et le vegan lui est grosso modo un végétalien qui érige son alimentation en mode de vie, qui dépasse alors l’alimentation pour couvrir bien d’autres aspects au quotidien. Les dernières tendances y associent également le flexitarisme, qui est un concept assez creux aux multiples acceptations, mais qui tend à être parcimonieux dans l’utilisation de la viande.
Dénoncer les abus…
Plusieurs mouvements lobbyistes ont été créés dans la mouvance végan, comme Gaïa, PeTa ou plus récemment L214. Ces groupes, mus par la volonté de dénoncer la consommation de viande, ont mis en place des stratégies efficaces de communication. Ce qu’ils dénoncent ? les nombreux abus commis dans le cadre de la production de produits carnés. Nous pensons immédiatement aux récentes vidéos tournées par L214 dans divers abattoirs montrant des souffrances graves et inutiles infligées aux animaux.
Conscience animale
La multiplication de ces campagnes, ainsi que la couverture toujours plus grande de la presse sur les sujets du végétarisme et bien-être animal ont permis aux gens de réfléchir à nouveau à leur alimentation viandeuse. Par la désincarnation cellophanée du bœuf de supermarché, c’est la conscience de l’animal que l’industrie étouffe. Elle qui tente à tous prix de nous faire oublier que la viande est animale est sabotée avec la diffusion de ces images dures invitant à la révolte face à la souffrance. Et il est salutaire d’enfin y repenser.
L’humain mange des animaux, et ce n’est pas un geste neutre. Il en mange depuis avant Homo Erectus, et a ritualisé cette consommation depuis des millénaires déjà. La ritualisation de la consommation de la viande[i] est un élément extrêmement important pour les omnivores humains que nous sommes, elle est le signe de la connaissance et du respect apporté à l’animal, dans sa vie et dans sa mise à mort. Bien sûr, ce point est celui usé par le monde vegan pour mettre les omnivores devant une supposée contradiction, que je conteste, ainsi que pas mal d’arguments écologiques visant à l’abandon pur et simple de la culture bovine, cible première des critiques[ii].
Contre la souffrance, supprimons l’animal
Fort de ce constat antagoniste, qui montre que l’humain mange des animaux mais que l’abattage est un acte de moins en moins accepté, l’industrie scientifique a évidemment pris les choses en main. Nous nous souvenons tous de ce fameux « Frankenburger », fait à partir de cellules souches et qui pour la modique somme de 250.000$ avait nourri deux heureux chercheurs.
La recherche a depuis fait son œuvre, rapidement récupérée par des entreprises privées, jusqu’à l’étonnante histoire qui m’est parvenue par un bon ami, relatant la production de foie gras en laboratoire, à une échelle qui sera demain industrialisable et rentable. JUST, l’entreprise californienne qui développe ce produit, a fait goûter ce foie gras éthique à un journaliste, en expliquant ce processus garantissant de la « vraie » viande sans pour autant produire de souffrance animale.
L’invention est géniale, les producteurs ont ainsi pu breveter la fin de la souffrance animale, la possiblité à tout un chacun de (re)manger en éliminant tout problème éthique.
Mauvaises réponses, mauvaises questions ?
Et si dans ce jeu, il n’était question que de mauvaises interprétations ? de mauvaises réponses à de mauvais postulats ?
Soyons honnête, loin d’être réjoui je suis horrifié de ces avancées qui se contrefoutent de tout problème philosophique. Lisons bien l’article, comprenons bien le pourquoi du foie gras. C’est un produit à haute rentabilité, développé par une société basée dans un des états les plus riches du pays le plus riche au monde, où le foie gras est interdit en raison de la souffrance animale. Le beau marché que voilà, sans concurrence. Prémice d’une prise en main de plus en plus importante de quelques supercompagnies agro-industrielles, comme les GAFA l’ont été sur les NTIC ou comme Monsanto l’est sur les semences? Sombre futur que voilà.
Pour assoir leur légitimité, les Frankenstein de la viande utilisent l’argument spécieux présent dans trop grand nombres de campagne style Gaïa (les champions en la matière) qui jouent sur le sentimentalisme pour faire croire que tout acte d’abattage d’animal est en fait une torture. Que le plaisir qui nous en découle est le pur fruit de ces sévices. Plus d’animal, plus de torture, uniquement le plaisir de la viande. Ils ont construit le slogan de JUST.
Mais le vrai problème dénoncé ne serait-il pas plutôt celui des conditions dans lesquelles nous produisons de la viande ? Ne serait-il pas celui de la déshumanisation de l’élevage et l’abattage, leur déritualisation ? Et si c’était le cas, la réponse pourrait-elle seulement être uniquement scientifique et industrielle ?
Pour un retour à l’Humain
Nul besoin d’être Jocelyne Porcher pour comprendre que des abattoirs tournant à 850 cochons à l’heure sont une hérésie qui doit disparaître de notre société. Nul besoin d’être médecin pour comprendre que notre consommation carnée doit drastiquement diminuer encore.
Cependant la sortie ne pourra être par l’invention technologique. Il est urgent d’apporter des réponses éthiques à des problèmes qui le sont. De désindustrialiser l’élevage et de recréer du lien. Un éleveur qui connaît ses bêtes parfaitement, qui les soigne et les aime (il ne faut pas en connaître pour affirmer le contraire) tout en ne niant pas leur destin ne pourra pas accepter de les envoyer se faire charcuter avec mépris. Mais de tels éleveurs ne peuvent subsister et se développer que si nous payons le prix juste à la filière juste pour nous nourrir.
Réapprenons le respect dans l’alimentation, de soi et d’autrui, de ce que nous mangeons. N’oublions pas que la Noblesse a un prix, celui du respect plus que du portefeuille. La viande limousine de votre éleveur aura alors une saveur à nulle autre pareille, loin du foie gras transgéniquement parfait de toutes les boites de Pétri de la terre.
[i] Vialles N. (1998). Toute chair n’est pas viande. In : Études rurales, n°147-148. Mort et mise à mort des animaux. pp. 139-149.
[ii]Turini T. (2015). Lecture d’actualité – Influences de l’élevage et de la production de viande de ruminants sur le climat. VPC-2015-12-1.
I think Lisons bien l’article, comprenons bien le pourquoi du foie gras.