Voici un restaurant dont nous avions déjà beaucoup parlé avec Valérie, que nous avions déjà croisé quelques fois également, il faut dire que nous avons la chance d’avoir un petit pied à terre familial dans cette magnifique et boisée région de Durbuy. Il aura fallu l’inauguration du restaurant San à Bruxelles, et une brève mais si sympathique rencontre avec Mario Elias pour nous décider de venir le rencontrer, lui et sa femme Aurore, dans son écrin de Wéris.
Le Cor de Chasse
Une fois n’est pas coutume, commençons par parler du bâtiment. Rénovée de fond en comble il y a maintenant 5ans, cette ferme-chateau datant de 1684 est à la fois bien dans ses racines ardennaises et moderne, stylée.

source www.eating.be
Bien sûr, nous n’avons pu profiter de tous les charmes du batiment vu que nous ne dormions pas sur place, mais j’ai tendance à faire confiance à mon ami Christophe qui a pu y passer une nuit et profiter des installations pendant l’été, en famille. Nous, durant la soirée, avons pu découvrir de leur Table d’Hôte avec vue semi-ouverte sur la cuisine, qui laisse un peu de mystère sur le travail de l’équipe, provoquant la douce frustration de ce qu’on ne peut que deviner. L’atmosphère du lieu est très bien définie dans le duo ligne tendues des installations et respect de la pierre. De la classe, pas d’esbrouffe, et un chouïa de modernisme assumé aussi.
Mario Elias, Chef Belge…
D’origine wallo-flamande bien belge, Mario Elias est l’archétype de la Belgitude, pays où on ne définit pas sa nationalité par le sang, les papiers ou je ne sais quoi mais plutôt par l’attitude, l’ouverture et le sens de l’accueil. D’une famille issue du sérail, il a grandi dans les fourneaux, et dès son diplôme a officié dans des tables régionales, connues et sérieuses à l’époque. Au contraire de pas mal de ses camarades de GenerationW, il n’a pas voyagé dans diverses Maisons françaises, il faut dire que l’Amour avait déjà frappé chez lui a 18ans, si bien que l’étranger n’était pas une option. Il regrettera un moment cette opportunité manquée, mais confesse avec une sincérité évidente dans le regard qu’aujourd’hui il n’a plus aucune frustration par rapport à cela (et la complicité avec Aurore tend à prouver qu’ils ont eu raison de ce choix).
Évolution plus que Révolution
Il y a 11ans, ils reprennent Aurore et lui le Cor de Chasse, alors à Barvaux, où Mario, que je soupçonne d’être une sorte de gastro-geek (en références aux techno-geeks), propose d’après lui une Cuisine à l’époque un peu portée sur les techniques et artifices, comme si le plus dans l’assiette pouvait cacher un manque de confiance en lui. Je ne suis pas étonné de ces révélations, mais ne suis pas étonné non plus quand il me dit qu’avec le temps, et le déménagement à Wéris ayant bien aidé, il a pris confiance et par conséquent simplifié un peu son assiette.

source : www.eating.be
Néanmoins, je ne pense pas que l’on puisse parler de révolution mais plutôt d’une évolution logique, vers un équilibre qui lui ressemble et non vers un kit de l’épure en 10 leçons qui ne lui correspondrait pas. En ça, et même si je ne pense pas pareil, je trouve intéressant sa réflexion sur quelques artifices de dressages qu’il a pu utiliser (comme les assiettes avec leds ou la fumée sur les plats) : Si un artifice ne nuit pas à un plat, pourquoi m’interdire de l’utiliser? Courageux et intéressant de penser ça, comme un signe de confiance, alors que la tendance d’aujourd’hui est à l’austère opposé.
Marieur de Saveurs
Définir le style de cuisine maison m’a été assez difficile, mais inconsciemment, et malgré le Ponzu, le dashi, la goyave ou encore la mousse de gin, j’ai noté “une vraie cuisine wallonne” dans mon carnet. Peut-être est-ce parce qu’elle ne répond pas à un canevas bien précis, comme la française ou la nordique? Parce qu’elle intègre des ingrédients divers et variés tout comme la Wallonie est le confluent des routes du Nord et du Sud de l’Europe? Je ne sais pas mais une grande majorité d’associations passent avec un naturel désarmant. Huître et goyave, juxtaposition qui peut paraître périlleuse à la lecture est juste évidente dans l’assiette! La mousse de gin qui écraserait les crevettes? que nenni, avec le jeune oignon cru entre les 2 c’est juste logique.
Créer n’est pas goûter
Plus je rencontre des Chefs, et qui me plaisent en plus, plus je suis surpris par leur manière de créer de nouveaux plats, par leur processus. Tout comme Clément Petitjean, Mario Elias crée d’abord intellectuellement ses plats avant de les entrer directement dans le menu.
Ses idées lui viennent de découvertes de livres, de restaurants faits chez des collègues (il prend des photos, afin de profiter plus de l’instant et pouvoir y réfléchir après : La Cuisine, c’est avant tout de l’émotion). Niveau livres, il a beaucoup aimé dernièrement le Alexandre Gauthier et certains livres de gastronomie australienne (Quarke etc.)
J’ai l’impression, en l’écoutant, qu’il a besoin de la contrainte du changement pour activer le processus créatif d’un nouveau plat, et qu’ainsi un “déclic” s’opère. Il me confesse ne pas goûter ses plats dans leur entiereté, ce qui rend plus bluffant encore ces résultats harmonieux en Cuisine, même si mon côté rationnel reste toujours questionnant pour ça!
En waalse ster…
Nous pourrions croire que Mario Elias est un Chef peu connu, que le Cor de Chasse est un restaurant de campagne oublié des télévisions belges, mais si le boulevard Reyers ne pense pas souvent à Wéris, il n’en est pas de même chez nos amis flamands et hollandais, qui eux médiatisent le restaurant à sa juste valeur. Pour l’anecdote, lorsqu’ils ont gagné met 4 in bed, Mario et Aurore ont reçu des centaines de demandes de réservation par jour (!!), et encore aujourd’hui la clientèle principale de l’hôtel est néerlandophone (80% en moyenne!). Depuis l’ouverture de sa nouvelle adresse, il aura eu les télévisions néérlandaises, allemandes, flamandes, allemandes et même bulgares, mais rien venant de la RTBF (ou RTL)… Il faut croire que parfois un Talent n’est pas profète en son pays. J’ai ressenti une certaine fatalité dans la bouche du Chef à ce sujet, mais j’avoue que personnellement ça a tendance à m’énerver ce petit manque de médiatisation du monde gastronomique wallon venant des médias nationaux…
L’Effet G(enerationW)
Mario est membre fondateur de GenerationW, le noyau culinaire wallon (oui oui, je suis entrain d’essayer de les faire tous dans un temps raisonnable, pour en parler ici-même 🙂 ). Il est l’exemple parfait de l’effet positif du mouvement. De la reconnaissance en plus pour le Chef? non, pas vraiment. Des nouvelles connaissances? quasi aucunes, ils se connaissaient déjà tous. Mais par contre une vraie prise de conscience de l’intérêt de créer avec des producteur ce réseau que les restaurateurs avaient déjà entre eux, d’utiliser (pas exclusivement, mais utiliser quand même) des produits qui l’entourent et mettre en avant la région et même de modifier quelque peu l’approche des relations avec les collègues GenerationW : les rapports vont plus loin que l’amitié, ils peuvent de plus en plus partager des questionnements entre eux.
Des Vins, naturellement…
Encore un Chef Generation W qui a eu une révélation “Nature” dans ses choix de vins, et surtout encore un Chef qui aime les vins. Mario et Aurore aiment gouter le vin, savent le gouter et l’accorder avec un plat! Un des plats du menu a d’ailleurs été construit autour du vin (Ondine) et c’était juste parfait comme accord : alors que je ne suis pas le plus grand amateur de ce vin, j’ai trouvé que sur le plat, il n’en fallait pas un autre!
Le travail de sélection se fait en parfaite collaboration avec son Sommelier Rémy Gilon, qu’il a converti aux vins plus nature dans l’approche, qui bénéficient d’une vraie mise en avant sur la carte et dans les sélections, comme d’ailleurs chez plusieurs de ses confrères wallons, je pense que c’est une véritable lame de fond dans le sud du pays que de se tourner vers les vins natures et associés. Si j’ai un avis neutre sur les vins nature, je veux surtout et avant tout qu’ils soient bons, j’aime bien le fait qu’ils soient généralement plus ouverts aromatiquement que d’autres vins très jeunes.
Au Service du Plaisir
Un restaurant, ce sont des plats servis à table. On a tendance à oublier systématiquement la fin de cette phrase, le Service étant une part très importante de la qualité d’un repas. Depuis une discussion, je suis beaucoup plus attentif à cela, et si avant c’est de manière passive que je pouvais me faire une opinion, maintenant je suis bien plus attentif au ballet des assiettes et verres qui arrivent à la table.
Tant dans le chef d’Aurore que de Rémy, j’ai remarqué une attention très à-propos tout au long de la soirée. Nous étions en famille (avec Valérie et ma fille Clémentine, 10ans mais qui aime déjà la bonne nourriture et un restaurant de temps en temps) aussi j’ai beaucoup aimé les petits mots de madame à son attention, sans pour autant tourner vers une proximité de mauvais aloi. La vraie classe est cette simplicité distinguée, qui en dit juste assez sur les plats. Au niveau du service des vins, j’ai cru noter une progression au fil du service. Rémy Gilon est un jeune sommelier qui affiche une confiance en lui sans jamais tomber dans la suffisance, et il est bien arrivé à analyser la clientèle que nous étions au fil de la soirée, trouvant la distance et les explications juste pour amorcer le dialogue sans tomber dans le bavardage. A croire que la gastronomie wallonne a aussi son style en salle, et pas uniquement en cuisine?
Quelques images pour finir…
J’espère que ces quelques mots et images vous auront appris un peu plus sur Mario et Aurore Elias (plus que sur leur menu du moment); nous en tous cas avons été conquis par un tel accueil et un tel repas, en toute simplicité distinguée. Nous reviendrons c’est certain!
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