A l’occasion de nos anniversaires respectifs, nous avons eu la chance Valérie et moi de nous rendre à la Grappe d’Or, où en plus de l’expérience du repas, nous avons pu compter sur une discussion avec Clément Petitjean, le maître des lieux en compagnie de Monia Aouini. Je vais donc vous parler aujourd’hui de plus qu’un restaurant, plutôt de toute une philosophie de travail et de vie, d’un homme pour qui le mot Valeurs prend tout son sens.
La Grappe d’Or, restaurant Gaumais
L’Auberge de la Grappe d’or se trouve dans le magnifique village de Torgny, tout au sud de la Belgique, en plein cœur de la Gaume, région d’origine de Clément. La Gaume a ceci de commun avec ma région de Liège qu’est l’attachement viscéral de ses habitants avec leur Mère Région. C’est ainsi que même durant ses exils internationaux ( Savoy, Jean-Georges entre autres) le Chef savait que c’est en Gaume qu’il reviendrait.
C’est il y a à peine 8ans qu’il déposera définitivement ses valises à Torgny, où il rachète l’Auberge de la Grappe d’Or pour y développer le magnifique restaurant d’aujourd’hui, ainsi qu’une deuxième table et le développement de l’hôtel.
L’intégration de l’Auberge dans le village est quelque chose qui m’a directement frappé. Nous sommes dans une maison de haute qualité, où le bon goût est évident, et où l’ostentatoire n’a pas sa place : pas de devanture bling bling, de luminaires indécents ou autre, non la beauté est dans l’épure et la sobriété.
La salle, ou plutôt les salles du restaurant sont également marquées par le raffinement épuré, sans renier du tout la maison (a vue de nez elle doit dater milieu du 19eme) et ses caractéristiques comme les meubles anciens, qui ne mangent pas du tout l’espace visuel.
En ce qui concerne la partie hotel, nous avons dormi dans une Suite où l’aménagement et l’ameublement sont d’un raffinement qui conduit au bien-être simple et sain. Elle était loin d’être la plus dotée en équipements luxueux, mais elle avait une âme et un charme fou, signe encore de l’attention que Monia porte à sa clientèle.
La Cuisine
Je n’ai eu l’occasion de goûter à la cuisine de Clément qu’une seule fois au restaurant, mais quelques fois en prestations externes aussi, donc mon avis sera limité mais le plus sincère possible.
C’est un cliché tellement éculé, mais il colle si bien à ce que je pense en voyant l’homme et ce qu’il produit que je me le permets : la Cuisine de Clément Petitjean est en phase avec sa Région, à la beauté évidente, sans flamboyance inutile, que je qualifierais presque de Cuisine raffinée rustique, du moins sur certains plats tandis que d’autres, surtout en mises en bouches, touchent plus à la sofistication (mais jamais de technicité masturbatoire non plus!).
J’ai beaucoup aimé l’éclectisme qu’il y a dans la Cuisine qu’il propose, un peu comme un pied de nez à tous ceux qui pensent que cuisiner local, c’est donner des limites à la créativité. Bien sûr, les produits sont très majoritairement locaux, mais les préparations sont vraiment diverses. Certains plats jouent clairement sur les acidités, les jus de fermentations et attisent l’appétit, d’autres jouent plus sur une construction plus réconfortante et montrent bien les techniques traditionnelles, comme par exemple le veau braisé qui était succulent.
Nous sommes dans une découpe de menu qui navigue je trouve entre l’école française et la nordique : nous ne sommes ni sur une construction en 4 plats, ni en 12 comme on peut en trouver autre part. C’est un parti pris qui prend tout son sens même si un peu déroutant quand on prend le menu sans le lire comme nous avons fait… Mais c’est aussi pour ça que nous allons au restaurant !
Si je devais mettre en exergue 2 plats dégustés samedi, j’irais peut-être vers la mise en bouche de carottes, et le Homard et tripes à la mode de Caen. Ce second plat, d’une audace folle, fait pourtant preuve d’une évidence naturelle une fois dégusté.
Le Processus créatif
J’aime comprendre comment un Chef crée de nouveaux plats, et suis assez impressionné par la manière très cérébrale avec laquelle Clément invente les nouvelles recettes du restaurant. Il ne s’agit pas de multiplier les essais, loin de là vu qu’il n’en fait pas, mais de créer l’image mentale de ce que le plat donnera, mettre au point les techniques pour le sortir directement ; les finitions de dressages se faisant sur les premiers service.
Cette approche nécessite une grande maîtrise des gestes et surtout une bibliothèque mentale très impressionnante, mais notre Chef la nourrit avec beaucoup de livres (il lit beaucoup) et des dégustations chez des collègues. Je ne doute pas non plus que la connaissance parfaite de ses produits et producteurs joue sur cette capacité à théoriser à l’extrême le créatif.
Et l’assiette dans tout ça ?
On ne parle presque jamais du support des créations, alors que les assiettes aujourd’hui prennent une place de plus en plus affirmées dans les restaurants… avec parfois quelques excès, et quelques modes suivies sans discernement, comme les céramiques aujourd’hui (surtout industrielles…).
De son propre aveu, s’il n’avait pas été Cuisinier, Clément aurait tout à fait pu créer des assiettes, tellement l’envie de créer, en y apportant le Beau, est un moteur chez lui. Aussi, il porte une attention particulière aux liens « plats/assiettes » et il faut dire que certaines associations, telles que la betterave sur l’assiette en porcelaine aux beaux dessins floraux étaient saisissantes. La beauté dans le détail, dans l’attention. Si en cuisine on donne du rythme en jouant sur les intensités gustatives, Clément en fait de même avec les assiettes, alternant les céramiques, porcelaines et autres afin de toujours surprendre. Cette réflexion montre à quel point la haute gastronomie est une affaire de détails.
Grappes d’or pour plats en or
Modeste sur ses connaissances, Clément met beaucoup en avant son sommelier ainsi que son ancien sommelier, Cédric, qui a maintenant une cave à vin dans le village et avec qui il travaille beaucoup. Mais notre artiste a une profonde connaissance du vin, de sa structure et de sa culture. Aussi, les accords mets-vins sont d’une grande réflexion, je dirais que c’est le pendant vins français de ce que l’on peut retrouver chez San Degeimbre qui lui joue beaucoup plus sur les internationaux : des vins hors des sentiers battus, qui privilégient clairement les jus expressifs, assez déliés (à tendance biodynamique, certains sans soufre) et arômatique sans JAMAIS tomber dans le putassier. Si pour un vin j’étais moins client, certains accords ont touché au sublime, et montraient que le vin a été clairement dégusté avant l’association : l‘accord betteraves et Trousseau 2012 de chez Julien Mareschal était juste parfait, jouant sur un Trousseau très souple, qui s’il manque peut-être d’un peu de fond a surtout une touche juteuse et finement épicée qui le rend magnifique et qui accompagne très bien ce légume parfois un peu terreux. Je mettrais également en avant l’accord sur le homard/tripe, qui tendait le plat juste comme il fallait, tout en s’alliant à merveille au niveau des arômes.
Monia, Magicienne du Temps
La Grappe d’Or est reconnue pour son service hors pair, mené avec un rare talent par Monia, tant pour la partie hôtel que restaurant. Nous avons passé une soirée hors du temps et la manière dont nous avons été mis dans notre cocon y a participé grandement. Bien sûr, le service est prévenant, rapide et efficace, mais Monia y ajoute une touche d’empathie naturelle, à la fois rassurante et respectueuse de la bulle dans laquelle nous étions… Je n’avais jamais connu un tel sentiment d’ailleurs.
Clément Petitjean, Passionné de Gaume
Parlons maintenant plus spécifiquement du rapport de Clément avec la Gaume, avec la Cuisine. Comme j’en ai déjà touché un mot, Petitjean fait partie des personnes les plus fermement attachées à leur terre que je connaisse, et quand parfois je ressens chez d’autres un militantisme, on ne peut plus sincère, pour promouvoir leurs produits j’ai l’impression que lui en est au stade suivant : il n’a plus besoin de prouver quoique ce soit de ce choix, le produit local est juste une évidence indiscutable.
C’est ainsi qu’en matière de qualité de produit, il a la très intéressante réflexion qui veut que le concept de qualité n’est pas monolithique, mais que la provenance, le mode de réalisation, le potentiel d’évolution joue aussi. Par exemple, si une collaboration avec le restaurant permet à un producteur d’investir en conséquence, c’est une qualité finale non négligeable, et surtout profitable à tous.
Toutes les personnes de son équipe semblent épanouies dans le travail, il semble se soucier sincèrement de leur bien-être, et quand une réorganisation est nécessaire, il pense naturellement aux inspirations de chacun et non seulement à la plus-value pour l’établissement. L’Humain est au centre du projet du couple.
Un Fer de lance #GenerationW
L’homme fait partie des premiers cuisiniers à avoir pu intégrer le collectif dont je vous ai déjà beaucoup parlé, Generation W. Très actif au sein de celui-ci, il a pour moi un rôle de modèle au sein des jeunes cuisiniers d’aujourd’hui, tant il incarne La Charte du mouvement. Pourtant, auprès d’une personne comme moi qui peut avoir une vision utopique de ce que représente la gastronomie wallonne, il apporte de nouvelles pistes, rappelant que ce n’est pas toujours plus de localité qui définira GenerationW, mais plutôt un épanouissement dans le cadre donné, avec les spécificités de chacuns qui s’en trouvent renforcés.
GenerationW ne doit pas tourner au sectarisme mais bien au corporatisme dans ce que le terme peut avoir de noble, avec les valeurs d’entraide, d’échanges et de soutien.
En Conclusion…
Ce n’est jamais évident de conclure un article qui parle de la connaissance encore balbutiante d’un Chef. Que dire à part que je voudrais souligner encore la rencontre humaine, le sentiment d’épanouissement que Clément et Monia dégagent et aussi redire combien je respecte ce genre d’établissements qui portent haut toute la Wallonie gastronomique. Je ne peux que vous conseiller de vous rendre au fin fond de la Belgique pour passer un moment hors des contraintes du temps chez eux, pour vous retrouver vous-même chez Clément. Clément qui derrière une apparence réservée, est une personne pointue, attachante et modeste, un gars bien quoi.
Que dire ?……….jamais je n’aurais pu trouver ces mots justes qui décrivent le climat dans lequel se deroule un repas a a la grappe d’or ,sans oulbler Monia et Clement qui par leur gentillesse et amour de leur travail ,vous procurent un de ces moments tout simplement inoubliables.Merci à l’auteur de ces lignes qui a su exprimer dans ses quelques lignes ce que nous ressentons chaque fois que nous avons eu la chance de partager un repas entre amis à la “Grappe”.
Je vous remercie de votre commentaire, je ne manquerai pas de le transmetttre à Clément.