Lors d’un précédent article, je vous disais que le Comté parlait d’une seule voix pour mettre en valeur un système de production solidaire basé sur la coopération, où les différences bien qu’existantes sont gommées. Après ma rencontre avec Christophe Defert, Président de la Fruitière de Plasne-Barretaine, j’ai découvert une réalité autre. Les différentes fruitières sont plutôt des membres d’une même famille, où chacun garde une identité propre, partageant un patronyme et un lien indicible, mais où chacun peut développer sa propre vie. Chaque fruitière est tenue de suivre les règles du CIGC (Comité Interprofessionnel de Gestion du Comté), et si certaines s’en accommodent avec aise, d’autres les réfléchissent, comprennent leur intérêt et participent activement à leur développement.
Plasne-Barretaine : Fruitière mixte pour but commun
La Fruitière de Plasne-Barretaine, juchée sur les hauteurs de Poligny, dans les premiers contreforts du Massif Jurassien, est certainement l’une des structures les plus en pointe en matière de qualité. Du contrôle très strict et régulier du lait (chez les coopérateurs Eux-mêmes, bien au-delà des règles obligatoires) aux conseils et formations des sociétaires, tout est mis en œuvre ici pour assurer le meilleur, chaque jour.
Avec ses 7.2 millions de litres de lait traités annuellement, la fruitière est de bonne taille (23 coopérateurs), mais n’est ni exceptionnellement grande ni petite. Pourtant, elle se distingue d’autres fruitières par son excellente intégration de la filière bio, peu développée dans le Comté, tout en continuant de promouvoir la culture « traditionnelle ». Cette paisible coexistence n’est pas le fait du hasard, mais bien de la volonté directe de ses sociétaires. Le but est de faire regarder tout le monde dans la même direction : celle de la qualité durable. C’est ainsi que, suivant le fil de l’Histoire récente, les prochaines révisions du cahier des charges du Comté vont de plus en plus s’orienter vers une agriculture propre et durable, menant vers une convergence telle que différencier les filières bio et non bio sera de plus en plus difficile. Du moins telle est la volonté de Christophe.
Un Président, un guide
Il ne faut pas voir Christophe Defert comme un Président « patron », mais bien plus comme un guide. Il se plaît d’ailleurs à dire qu’il est le premier des communistes du village, son rôle étant de gérer le bien commun. Mais un guide se doit surtout d’être droit et visionnaire, deux qualités évidentes de notre homme. D’abord, parce qu’en tant que Président il engage toute la Fruitière avec sa production propre qui se doit d’être absolument irréprochable. De ce rôle de modèle, il doit user de l’exemplarité pour encourager les sociétaires à adhérer à cette production « haut de gamme », quitte à perdre un peu de rendements. Ensuite, il doit comprendre parfaitement les enjeux futurs du Comté, pour mieux en parler aux jeunes qui arrivent, et les conformer à cette volonté qualitative qui l’animent lui et ses collègues coopérateurs.
N’accepter que l’excellent
Si tout roule parfaitement, l’attention du Président ne retombe jamais quand il s’agit de la production fromagère. Comme vous le savez, le Comté est fait exclusivement à base de lait cru, et les attaques de certains pays contre ce type de fromage sont incessantes. C’est ainsi que Christophe craint comme la peste toute infection du lait. Il faut savoir que les valeurs acceptées en listeria pour le fromage sont 20 fois inférieures à celles autorisées pour les charcuteries. Un mantra de notre agriculteur est de ne jamais se contenter du minimum, mais tendre toujours et tous les jours vers le meilleur, pour lui et pour les autres.
La coopération dans les veines
La solidarité en Franche-Comté (je limite toujours le Comté au Jura, mais il s’étend plus loin dans le Massif Jurassion, englobant une grande partie de la Franche-Comté) est une tradition séculaire. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que le Crédit Agricole estné à Poligny à la fin du 19eme siècle…. Hasard (ou pas) des choses, Christophe est le petit-fils d’un des fondateurs du Crédit Agricole. Il garde cette notion d’entraide et de coopération au cœur de son action, en étant à la base de la création d’un fonds d’investissement à l’intérieur de la filière il y a dix ans, permettant aux différents coopérateurs de se doter d’un bras financier en cas de pépin ou de gros investissement.
L’Esprit coopérateur ne se limite pas aux gros sous, il se joue au jour le jour, en rendant par exemple la place d’antan des fruitières dans les villages, elles qui redeviennent alors lieux de vie et plus uniquement de commerce. L’endroit où l’on vient boire un café et prendre conscience de son lieu de vie. Ces exemples peuvent paraître peu liés à la fabrication de Comté, mais en fait ils en sont le prolongement direct, et permettent de comprendre ce qui fait l’unicité de cette filière, qui va bien au-delà de la simple agriculture ou transformation fromagère.
Générations, formation
Il apparaît primordial pour Christophe Defert de gérer au mieux la jeunesse, pour que les combats d’aujourd’hui deviennent les acquis de demain. Il mise pour cela sur les jeunes agriculteurs, et surtout leur formation. Les bonnes pratiques, qui peuvent certes avoir un coût en termes de rendements, doivent à ses yeux être gravées dans le marbre. Christophe a une foi inaliénable en la jeunesse pour poursuivre cet objectif de qualité, si tant est que la formation suit. Il croit fermement que le salut de la filière ne pourra venir que de la jeunesse, de la transmission de savoir et de valeurs au travers de formations spécialisées et adaptées.
Du concept à l’assiette, un travail utile
Avoir une philosophie sans faille est beau, mais le but ultime de tout ce travail est que le tout se ressente sous la dent. Et indéniablement c’est le cas. J’ai pu le remarquer dans diverses dégustations à l’aveugle, où l’on ressent une véritable force de ces Comté par rapport à d’autres, et même entre eux des différences marquantes sont à noter, pas vraiment qualitativement, mais au niveau de l’histoire qu’ils racontent.
Plus encore que pour le temps qu’il m’a accordé, merci à Christophe Defert de m’avoir offert le moyen de comprendre son travail par les mots et par le goût. Et merci à Sandra d’avoir permis cette savoureuse rencontre.
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