Une récente petite aventure m’a fait prendre conscience d’une chose qui se révèle comme un état de fait. Je venais d’acquérir quelques vins de vignerons que je connais depuis plusieurs années, et j’ai remarqué que parmi les 10 dernières bouteilles achetées, près de la moitié étaient en “Vin de France”, malgré que beaucoup auraient pu prétendre à l’AOP. Pourtant, on ne peut pas me qualifier de naturiste aventureux de la première heure…

Mais le constat est quand même limpide : Il existe une perte de confiance en les diverses appellations et autres organismes certificateurs qui jalonnent notre vie de consommateur.
AOC, à l’origine du Label certifiant
Bon, avant tout, il faut savoir qu’il y a encore plus de labels que de ministres de la santé en Belgique (c’est à dire énormément), et je n’ai jamais trop prêté attention à une grande majorité d’entre eux, mais j’ai grandi avec une foi inébranlable en 2 certifications : l’AOC (devenue AOP) et les labels bio.
L’AOP, si elle semble aussi vieille que les grandes appellations viticoles, est en fait assez jeune. Elle rentre dans la législation française durant les années ’30 et va se généraliser après les années ’50. Le label bio, lui date grosso modo des années ’70.

La création de label répond toujours à un besoin : celui de certifier un produit , souvent suite à une crise de confiance. Ainsi, il n’est pas étonnant de voir l’AOP suivre une grande crise du vin, avec des importations illégales de vins de provenances exotiques, ni de voir le label bio apparaître en plein milieu des années chimie.
La raison est noble : permettre aux consommateurs d’acheter des produits dignes de confiance, produits selon une méthode digne, dans un lieu donné. Le label fait office d’intermédiaire de confiance et apaise les marchés.
Confiance, corporatisme, bénéfices
Les AOC réussissent le pari de fédérer tout le monde. D’abord en gagnant la confiance des consommateurs, mais aussi en alliant au sein d’une même appellation les gros et les petits acteurs, qui peuvent avoir des vues assez différentes. Le négociant côtoie l’artisan, ils se comprennent et gardent une trame commune en acceptant les différences de chacun, au profit d’une lisibilité assez facile. Et au final, ce jeu d’équipe permet de valoriser une image commune… et dans de nombreux cas ça assure un revenu minimum.
Il en va de même avec la certification bio, qui permet aux producteurs de vendre leurs légumes, viande, fromages et autres à un prix supérieur au chimique (je refuse de parler de “conventionnel”), qui couvre des coûts également plus élevés ; et qui permet en échange au consommateur d’être certain que ce qu’il achète est “juste et bon”.
Un équilibre vacillant
Mais depuis quelques années, divers signaux d’alarme retentissent toujours plus forts. Pas toujours les mêmes, pas toujours dans le même sens, mais néanmoins ils se multiplient !
Les histoires de vins de vignerons reconnus pour leur travail qui sont refusés à l’agrément (une commission “juge” de la qualité suffisante d’un vin pour entrer dans une AOC) se multiplient depuis des années, ouvrant la voie à des questions sur la notion même de représentation d’un terroir d’un vin : Un jus produit proprement, en respect d’un sol vivant peut-il être jugé indigne d’une AOC alors que le vin d’un voisin issu de la chimie, avec un nombre impressionnant d’intrants sera bien considéré? Las de tout cela, en quête d”une autre vérité, beaucoup en viennent à snober l’Appellation.

Au niveau de l’agriculture biologique, le risque est légèrement différent. On passe d’un modèle fermier à un modèle industriel. D’un modèle où le respect de la Nature est la raison même d’un mode de culture à celui où l’obtention du label est la promesse de bénéfices futurs.
Contrat dévoyé
Je pense que les causes de l’instabilité qui se profile viennent de deux sources : La diminution de la valeur bien commun et l’appropriation par le monde industriel soutenu par la grande distribution. La prévalence d’un monde où l’argent est roi. La certification ne parle plus de qualité, mais de profit. Par une compréhension très fine des textes et de leurs failles, les gros acteurs s’approprient ainsi des certifications en contournant les règles, en industrialisant des processus qui ne devraient pas l’être, en usant sans vergogne de leurs stratégies commerciales qui compriment les revenus des producteurs. In fine, en rompant le contrat moral entre le consommateur et producteur : qui a encore confiance en du bio du Sud de l’Espagne, en une tomate bio industrielle de Flandres, en un jambon d’Ardenne provenant de cochons de batterie élevés hors région?
Bien évidemment les petits artisans qualitatifs pourraient en être les premières victimes, mais le haut du panier, fort de valeurs fortes et d’une légitime réputation, peut sortir d’un cercle dans lequel il ne trouve plus ses repères. Cependant, cette dualisation du marché engendre des perdants : les producteurs et consommateurs qui ne sont pas pionniers mais qui jouent le jeu, qui comptaient sur la confiance suscitée par une appellation pour acheter avec certitude sans faire d’étude de marché pour les uns , et profitaient de l’accès facilités aux consommateurs pour les autres.
Je n’attends aucune loyauté de la grande distribution ni des grandes marques, mais je vois aussi un peu de désinvestissement chez les producteurs qui quittent sciemment les certifications (AOP ou Bio), souvent avec de bonnes raisons, mais toujours avec des conséquences néfastes pour tous. L’Appellation était un ciment entre collègues, aujourd’hui bien effrité.
A qui profite le crime label?
Les labels sont en crise, ok, mais à qui profitent-ils encore alors? Pour se faire une idée, il suffit de passer quelques minutes dans une grande surface… On y trouvera des fromages industriels style Entremont avec une AOP, un poulet peu appétant sera évidemment fermier Label Rouge , la tomate de février sera Bio (et suremballée), le chardonnay pas cher sera aussi d’origine… Bref, tout le magasin sera certifié. Au niveau de la production, même constat. Le marché du fromage en AOP est en danger face à l’appétit vorace des grands groupes laitiers style Lactalis, mettant en péril l’existence même de fromages au lait cru. Bref, le Label est de nos jours un moins disant au profit du profit.

Retrouver la confiance
Alors que les diverses appellations et certificats suscitent de plus en plus la méfiance des consommateurs, comme par exemple suite à la possible autorisation plus large de présence de pesticides dans le bio européen, le retour du climat de confiance passera de plus en plus inévitablement par le retour d’une relation de confiance plus directe entre un client averti et un producteur.
La curiosité, la connaissance et le circuit-court seront le futur de l’Amateur de bonne chère. Entre producteurs, cette confiance se passe également à toute petite échelle, où la notion d’entraide peut encore bien exister entre voisins, mais déjà plus à celle à peine plus large de collègues d’appellation.
Le lien, qui auparavant était établi par nos AOP et autres, devra néanmoins toujous exister, parce que le monde de la production et celui de la vente sont parfois trop éloignés. Et si ces nouveaux passeurs de confiance ne devenaient pas les revendeurs eux-même? Un peu à l’image de certains cavistes qui vendent leur vins comme ils raconteraient les petites et grandes histoires de leurs producteurs affiliés.
Vers le post-label
Si cette crise de la certification permettra à toute une frange de citoyens de se reconnecter mieux à leurs producteurs, la fracture sera toujours plus grande avec la majorité qui ne consommera que de la nourriture de grande surface, aux labels multiples et sans fondements. Nous arrivons à la fin d’une période faste où nous pouvions nous reposer sur la promesse d’une qualité certifiée.

Si nous voulons éviter de rentrer dans une ère où le bien manger sera aussi inaccessible aux papilles des gens que ce qu’un concert de John Zorn l’est à leurs oreilles, il faut absolument redonner du sens aux certifications, et rechercher l’adhésion de tous! Il faut peut-être moins réguler mais durtout réhumaniser notre production et nos achats. Et peut-être passer dans un mode de fonctionnement post-labellisation?
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