Alain Bianchin est un Chef très connu dans le monde gastronomique belge. Avant d’ouvrir son propre restaurant il y a maintenant presque cinq ans, il a travaillé dans différentes grandes Maisons telles que le Barbizon, le Châlet de la Forêt ou encore la Villa Lorraine... établissements avec lesquels il a toujours admirablement réussi, étant à chaque fois une figure importante de l’obtention d’une ou deux étoiles! Pour la première fois aux manettes de sa propre Maison Bianchin, Alain nous a régalé il y a peu d’un menu de belle facture, à la fois hors du temps et sacrément contemporain.
Méticulosité et Saveurs
Alain Bianchin est un homme antagoniste, nous y reviendrons. Cela se ressent positivement dans ses assiettes, lui qui allie son vécu de grandes brigades fait d’assiettes très élaborées et une volonté de simplification pour répondre à la réalité de sa Cuisine. Il en sort un style de cuisine qui ne cherche pas l’épure – on est loin des recettes mono-produits – mais où chaque élément doit avoir un réel intérêt gustatif ou sensoriel.
Chaque plat doit, pour Alain Bianchin, répondre à une notion d’équilibre qui est claire à ses yeux. Cet équilbre se joue sur une échelle de différentes dimensions olfactives et sensorielles basées sur l’acidité et l’amertume, le gras et la douceur. De plus, les sensations croquantes et de textures variées sont très importantes pour ce Chef dont on sent une rigueur au travail sans faille.
épices, vinaigres et condiments
Une caractéristique des saveurs à la Bianchin est l’utilisation assumée et revendiquée d’épices et vinaigres. Sa connaissance sur le sujet n’a d’égal que son sourire lorsqu’il en parle. J’ai encore en tête l’aromatique de son curry breton qui a supporté un grandiose plat de homard. Les saveurs apportées par les vinaigres et condiments dans la cuisine moderne sont souvent synonymes de peu de sauce : la concentration de goûts se fait alors par ces éléments ; mais ici, je n’ai pas ressenti les condiments en ce sens, on les trouve en plus de la sauce, comme en témoigne le plat de canard Burgaud, où l’on se surprenait à une fois goûter la sauce, une fois le condiment.
Pour l’amour du Beau
Un moment seul à table, j’ai entendu Alain Bianchin parler d’œuvres d’art présentes dans son restaurant (certaines m’ont touché assez clairement, d’autres moins). On sent chez lui cette appétence artistique, qui ne se limite pas à l’art décoratif, mais celui qui a un message derrière lui, celui qui a un sens. Le parallèle avec ses assiettes est certes un peu trop direct, mais on ne peut s’empêcher de penser à la construction de ses assiettes, graphiques, mais où tout a sa place. Pas de décor, de la cuisine.
Un Sensible intransigeant
On ne peut manquer la réputation d’Alain Bianchin d’être un Chef intransigeant. Malgré lui peut-être. Très jeune, il a eu la responsabilité des autres, il a exprimé son souci d’autrui par un sentiment de responsabilité de leurs actes. Cette volonté d’excellence à laquelle il s’astreint, il tente de la transmettre à son équipe. Mais ceux qui le verraient uniquement sous le prisme d’un homme dur louperaient clairement le personnage. On ressent, en discutant avec lui, la grande sensibilité d’un homme. On ressent ce qui fait de lui un artisan artistique, qui puise dans ses émotions pour créer, qui travaille d’arrache-pied pour reproduire avec la même sensibilité.
L’inspiration entre les lignes
Lorsqu’on lui parle inspiration , le sujet dévie rapidement sur les livres, qui sont une grande source d’idées (ça tombe bien, je suis également fondu d’éditions culinaires). Il allie l’instinct et la réflexion pour s’approprier des recettes et styles de cuisines qu’il lit : derrière une mémoire photographique développée, il y a chez Alain cette volonté de lire entre les lignes des livres, de comprendre le message en allant plus loin que le texte, toujours avec le risque d’appréhender un ouvrage avec les œillères de son propre vécu, c’est évident. A la traditionnelle question du livre préféré, je suis intrigué de sa réponse : La Riviera d’Alain Ducasse. Un livre de plus de 25ans ! (du coup j’ai commandé un exemplaire).
L’émotion étant un moteur central de la Cuisine d’Alain Bianchin, ce n’est pas étonnant que son autre modèle soit Pascal Barbot, Chef qui peut-être plus que quiconque est arrivé à transmettre l’émotion pure par de la technique sans faille, qui arrive à produire et reproduire des plats qui marquent.
Formel, sans excès
Malgré une soirée un peu spéciale (jour des remises de diplômes chez les réthos, équivalent du Bac en Belgique) qui aura vu beaucoup de tables tardives, le service s’est avéré être néanmoins très agréable. Nous ressentons l’accueil très professionnel de l’équipe de salle, mais avec la petite pointe de décontraction de bon aloi, renforcée par la ponctuelle présence du Chef en salle, lui qui se met un point d’honneur de rencontrer sa clientèle dès que le travail en cuisine le permet.
Ce commentaire sur le service pourrait être élargi au travail de sommellerie, bien qu’un peu plus joueur même vu que Benjamin Vasseur, le sommelier, m’a proposé de jouer un peu à l’aveugle (à mon grand plaisir). Les vins sont en général bien choisi en accompagnement des plats, sans chercher non plus à révolutionner le monde des accords. Des vins assez jeunes sont préférés, pour créer les accords plutôt sur les aromatiques plus que sur les structures, ce qui donne une sélection qui passe très bien, sans toutefois toujours avoir toute la finesse de la cuisine du lieu (chose très difficile en sélection par ailleurs).
Un Menu
Pour ne pas terminer en frustrant certains lecteurs qui aiment avoir quelques descriptions plus directes de plats, je ne manque pas de parler de quelques plats qui m’ont un peu plus touché. Le début de repas a déjà été très positif. Si la royale de foie gras et parmesan, classique de la maison, était plaisant, j’ai surtout apprécié la mise en bouche composée de Madeleine aux olives noires et chorizo. Cette préparation a tout du piège pour le cuisinier : vite trop sec, chorizo rapidement trop présent, olives pas intégrées… et ici rien de tout cela, mais une texture parfaite, délicatement enrichies de saveurs plus épicées provenant manifestement du chorizo avant que la petite amertume de l’olive ne finisse la bouche. Le plat d’huître fumée, lui, emmène carrément au 7ème ciel.

Canard au sang de Burgaud grillé au feu de bois , jeunes oignons et févettes , chutney de rhubarbe-hibiscus, jus court aux épices.
Cette autre préparation phare de la Maison Bianchin est à mes yeux la quintessence de la Cuisine du Chef : Plusieurs éléments, un grand équilibre gustatif, beaucoup de technique, et une finale toute en émotion. Une petite larme pourrait tomber. Comme pour m’empêcher de m’en remettre arrive le homard dont j’ai parlé ci-dessus, avec l’une des plus jolies cuissons de homard jamais rencontrée. Enfin, je ne pourrais manquer le canard Burgaud au sang. Ca fait partie de ces plats où la réalisation sans faille prend du temps à être intégrée par votre serviteur. Le genre de plat qui m’impressionne au premier abord, sans m’émouvoir cependant, mais qui plante sa graine dans mon esprit, ce qui fait que depuis j’y repense beaucoup. Un monstre d’équilibre, en retenue mais aux saveurs si justes… Parfois, la technique, ca peut toucher, même à posteriori.
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